La mondialisation: promotion d'une vision monolithique de langue et de culture?

Shirlei Almeida Baptistone

Abstract

Ce compte-rendu est celui d'une conférence du professeur Rainer Enrique Hamel à Abralin en direct le 29 mai 2020. Nous y mettons en évidence la problématique du pouvoir d’homogénéisation d'une langue, qui peut non seulement influencer une structure linguistique, mais aussi les structures discursives et les modèles culturels d'un peuple. Appelé la langue hypercen-trale, l’anglais n'a pas seulement occupé une place de choix dans le domaine de la science, il a aussi “expulsé" les langues supercentrales comme s'il s'agissait d'un processus naturel. Cette période de pandémie nous a montré que si la science continue à s’écarter de la société, nous en subirons les conséquences désastreuses. Nous observerons certains aspects de la pratique scientifique guidés par une analyse bibliométrique fallacieuse.

Texto

Le vendredi 29 mai 2020, le professeur Rainer Enrique Hamel, linguiste à l'université Autónoma Metropolitana, au Mexique, et coordinateur du projet « Politiques linguistiques en Amérique latine », de l'Association latino-américaine de linguistique et de philologie (ALFAL), a tenu en ligne via le site web d'Abralin, l'Association Brésilienne de Linguistique, une conférence intitulée « Mondialisation politique, langues dans les sciences et l'enseignement supérieur : un monopole anglais ou une nouvelle diversité dans la pandémie »[1]. Lors de cette conférence, le professeur Hamel a dénoncé les erreurs et les limites du système bibliométrique qui régit les productions scientifiques. En outre, il a souligné la nécessaire défense des espaces multilingues en Amérique latine afin que le monopole anglais ne s'installe pas et impose le silence nos modèles culturels.

Nous comprenons le discours initial du professeur Hamel à la conférence comme un acte politique de résistance. Compte tenu du champ d'application et de l'objet, il ne pouvait en être autrement. Le professeur a tenu à commencer l'introduction en anglais en expliquant pourquoi son cours devrait être donné en portugais ou même en espagnol. Pour comprendre la distinction terminologique qu'il utilise à propos de l'organisation des langues du monde, Hamel s’inspire du modèle gravitationnel proposé par Calvet (1999 apud Pereira 2006 p. 92[2]). L'anglais est considéré comme la seule langue mondiale, appelée la langue hypercentrale. Autour d'elle, il y a sept à neuf langues supercentrales comme le français, l'espagnol et le portugais qui, bien qu'ayant une fonction internationale, ont une aire d’utilisation plus étroite. Autour de ces langues, on trouve une centaine de langues centrales qui sont les langues nationales de pays sans grande expression internationale et environ six mille langues vernaculaires, mais sans statut principal et considérées comme périphériques.

En attirant l'attention sur la situation actuelle de l'enseignement supérieur, le professeur a souligné que nous sommes confrontés à une impasse vitale aux implications probablement irréversibles. L'anglais, en tant que langue de la science, occupe une position hégémonique excluant même les quelques espaces prestigieux réservés aux langues supercentrales (gouvernement, administration, enseignement supérieur, commerce ou communication internationale). Si ce modèle monolingue demeure, de nombreuses langues s'atrophieront dans le domaine des sciences et des technologies. Dans un autre article, le professeur Hamel (2017, p. 244[3]) a déclaré que la convergence vers un langage scientifique unique recréait une certaine illusion d'unité planétaire chez les scientifiques, en plus d'être une grande attraction. Actuellement, il est à noter que l'augmentation du nombre de publications scientifiques fait de l'anglais la langue standard.

Le professeur Hamel a également fait part de son inquiétude à la communauté scientifique quant à l'espace occupé par la bibliométrie1. Selon lui, un tel outil ne privilégie que les publications et ne prend pas en compte les autres productions scientifiques réelles. En ce sens, la réalisation de travaux sur le terrain, le travail en laboratoire et la formation de nouveaux chercheurs finissent par être des actions écartées, comme si cela ne signifiait pas être des productions scientifiques. Pour Bourdieu (1992, p. 259[4]), cette forme de raisonnement à propos de la production du savoir scientifique serait une compréhension fétichisée, limitée et naturalisée, mais qui « n'existe comme objet symbolique doté de valeur que s'il est connu et reconnu, c'est-à-dire socialement institué ».

Le professeur a souligné qu'en 2016, il y avait un pourcentage élevé de publications en anglais et un faible pourcentage pour ceux en portugais et en l'espagnol. Ces données font partie d'un classement qui fait partie du Web of Science2, une base multidisciplinaire qui rassemble des articles de revues scientifiques de renommée mondiale et publiés dans le monde entier, ainsi que des articles d'événements. M. Hamel a montré que ces données sont fallacieuses, elles déforment la réalité, soit par la sélection, la hiérarchisation et l'exclusion de publications et de langues. Serait-il judicieux de considérer la "pertinence" et la valeur scientifique d'un article pour son impact ? L’impact est mesuré et compris en comptant le nombre de fois qu'il a été cité par d'autres auteurs. Qu'en est-il de l'ensemble des revues qui sont importantes pour les réalités des pays et dont les citations ne participent pas à cette réalité métrique? Seraient-ils pour autant moins importants?

Il est important de souligner que les articles hybrides ne seraient guère acceptés comme production scientifique, même si leur structure discursive était faite dans les canons de la grammaire normative de l'anglais, car il s'agit d'un discours construit avec un modèle culturel différent. D'autre part, il y a aussi des articles publiés en portugais, espagnol e allemand dont la logique est basée sur un modèle discursif scientifique en anglais, américain ou anglo-saxon.

Au cours de ses nombreuses années de recherche dans le domaine de la sociolinguistique, Hamel a réalisé que s’il est important d’observer les structures linguistiques (EL) des langues (terminologie, grammaire), il était aussi nécessaire et plus important d'observer les structures discursives (ED). Ainsi, le professeur fait valoir que chaque groupe linguistique a son paradigme, ses traditions, sa façon de structurer la pensée scientifique. Et cette acceptation de la diversité comme une richesse est la conception du plurilinguisme de Hamel : plus il y a de langues, mieux c'est. Cette position diffère de celle proposée par l'Union européenne. Hamel caractérise le multilinguisme comme acceptation de la diversité linguistique, mais il remarque une connotation idéologique négative - les langues variées sont considérées comme des problèmes.

Hamel explique que la réduction de la diversité conduit à un appauvrissement de la créativité, de la diversité scientifique dans les procédures spécifiques des thèmes et de la recherche. Il est fréquent qu'il y ait des conflits entre les langues, car chacune d'entre elles exprime une compréhension du monde, des modèles de connaissance et des modèles culturels différents (MC). En conséquence, nous comprenons pourquoi nous ne pouvons pas accepter le discours d'homogénéisation de l'anglais comme seule langue de la science. On se souvient que Hall (2019, p.11[5]) déclare que la société se projette dans ses identités qui finissent par coudre ou "suturer" à la fois les sujets et les mondes culturels qu'ils habitent, les rendant mutuellement plus unifiés et prévisibles.

Par conséquent, nous ne pouvons pas "coudre" comme beaucoup le font, estimant qu'il est normal et inévitable d'abandonner le modèle plurilingue des langues supercentrales dans les sciences et de soutenir le monopole de l'anglais, surtout à l'heure de la mondialisation. Nous sommes d'accord avec Hamel pour dire que cette illusion d'unification ne se réfère pas seulement à un processus linguistique, mais surtout à un monolinguisme idéologique des groupes dominants, donc à un système mondial d'interprétation.

Historiquement, les pays d'Amérique latine s'accordent à dire que des domaines tels que l'éducation et la santé sont des droits constitutionnels et non des seules affaires publiques, des biens publics et des libertés. Toutefois, M. Hamel émet quelques réserves à propos de l’utilisation d’un modèle de gestion d'entreprise dans le domaine de l'enseignement supérieur et des sciences, qui, en ces temps de mondialisation, se renforce. Il existe un concept qui considère qu'il est légitime pour l'individu de disposer d'un capital pour financer ses études universitaires, c'est-à-dire de devenir responsable de ses compétences et de ses connaissances. C'est déjà une réalité dans les universités publiques en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Chili et en Colombie. Le professeur Hamel avertit qu'il est temps de se fier à notre propre histoire dans le domaine de l'enseignement supérieur, des sciences et des études de troisième cycle et d'une meilleure intégration latino-américaine. Il n'est plus concevable que les idéologies dominantes mettent au silence tout un continent. Il doit y avoir des espaces d'intégration en Amérique latine en tant qu'espaces plurilingues.

Cette période de pandémie nous a montré comment la crise de la mondialisation a des implications directes sur la société. M. Hamel ajoute que nous vivons dans un système pervers, complexe et très inégalitaire qui s'est déjà révélé être un échec. À quoi bon pour le scientifique de participer efficacement à la publication de ses recherches, si sa productivité l'éloigne de l'impact social réel ou ne provoque pas de véritables changements dans la société ?

Enfin, on peut affirmer que le professeur Hamel a fait une très belle présentation sur les conséquences d'une vision monolithique du langage et du modèle culturels. En même temps, son lieu de parole est devenu clair, car à aucun moment il n'a préconisé un discours de haine à l'égard de l'anglais ou d'autres langues, mais seulement que les langues utilisées restent plurielles et guidées par les besoins réels de notre société. Nous soulignons que la conférence a également apporté de nombreuses réflexions qui ont permis de mettre en place des indices bibliométriques qui mesurent l'efficacité académique en fonction de la quantité de production.

En ce sens, la connaissance scientifique qui est indispensable pour servir la société et notre contexte latino-américain est plus importante que la quantification ou l'internationalisation de la science. D'ailleurs, dans tout son discours, Hamel a insisté sur le fait qu'il était temps de réfléchir aux stratégies latino-américaines afin de construire notre histoire, de défaire les mythes et de construire notre façon de faire de la science. Il a félicité les initiatives des universités pour publier leurs propres magazines, les associations pour promouvoir des rencontres comme celle d'Abralin. À la fin de la conférence, tous ceux qui sont impliqués dans ce processus ont été invités à inspirer et à renforcer leurs efforts pour une nouvelle culture universitaire, au son de "Volver a Los 17", avec Mercedes Sosa, Chico Buarque, Caetano Veloso, Milton Nascimento et Gal, une chanson de lutte, d'encouragement et de non-conformisme.

References

A globalização política, as línguas na ciência e no ensino superior: monopólio inglês ou nova diversidade na pandemia? Conferência apresentada por Rainer Enrique Hamel [s.l., s.n], 2020. 1 vídeo (1h 25min 24s). Publicado pelo canal da Associação Brasileira de Linguísti-ca. Disponível em: https://www.youtube.com/watch?v=IKuRyEF0RGc Acesso em: 29 maio 2020

BOURDIEU, Pierre. As regras da arte: gênese e estrutura do campo literário. Tradução de Maria Lúcia Machado. São Paulo: Companhia das Letras. 1996.

FORESTI, Noris. Estudo da contribuição das revistas brasileiras de Biblioteconomia e Ciência da Informação enquanto fonte de referência para a pesquisa. Dissertação (Mestrado em Biblioteconomia) - Faculdade de Estudos Sociais e Aplicados, Universidade de Brasília, Bra-sília, DF, 1990.

HALL, Stuart. A identidade cultural na pós-modernidade. 12 ed. Rio de Janeiro: DP&A, 2019.

HAMEL, Rainer Enrique. Enfrentando las estrategias del imperio: hacia políticas del lenguaje en las ciencias y la educación superior en América Latina. In: DINIZ, A. G.; PEREIRA, D. A.; ALVES, L. K. (Orgs.). Poéticas e políticas da linguagem em vias de descolonização. São Car-los, SP: Pedro & João Editores, 2017b. p. 229-261.

PEREIRA, Telma Cristina de Almeida Silva. O ensino de línguas estrangeiras como um fator de inclusão social: o desafio da francofonia no Rio de Janeiro. Tese (Doutorado em Letras) – Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 2006.